A la fin du Carême ne refusez jamais d’offrir une collation à qui vous la demande ; vous auriez faim pour tout le reste de l’année l’année. En mars, c’est la fin de l’hiver et c’est aussi bien souvent la fin des provisions et le début des famines. Que fait-on quand caves et greniers sont vides et que des étrangers rôdent. ?
LA SOUPE AU CAILLOU
On ne sait plus quand, on ne sait plus où, après un hiver plus que rigoureux, Mars n’en finissait pas de ramener un printemps tardif. Depuis la Noël jusqu’à Mardi-Gras un pauvre soleil ne se montrait guère. Arriva un jour de Carême prenant, où le vent soufflait et tombait la pluie sur le sol gelé. Personne au dehors. Dans les maisons closes, près des cheminées on restait serrés. Le jeûne arrivant ne changerait pas beaucoup de celui auquel il avait fallu durant tout l’hiver forcer bêtes et gens. C’était une année de maigres récoltes, de tristes vendanges. Plus rien dans les huches ni dans les celliers et dans les étables, paille et foin manquaient. C’était un village dans la saison grise ; grise était l’humeur de ses habitants.
Barbu et crotté, sac sur le dos, bâton à la main, vint un voyageur. Le sac était gros et faisait des bosses. Près de la fontaine l’étranger s’arrête, pose son barda, en sort un violon, commence à jouer.
Aux premières mesures, devant lui se dresse Monsieur le Bedeau, grognon personnage qui réglementait de son propre chef, entre deux offices, la vie du village. Il lui intima de filer bien vite. Cette fois encore, le porte-parole de la mesquinerie, de tout l’égoïsme de ces paroissiens, ce fut le bedeau :
. -« Nous n’avons plus rien ! Rien à partager avec un mendiant ! Passe ton chemin !»-
-« Je ne mendie pas, mais la route est longue, lui dit l’étranger. Il me faut dormir… Puis-je m’abriter dessous cette halle, avoir un peu d’eau de votre fontaine, deux ou trois cailloux de votre chemin ?»-
Quelques borborygmes du grognon bedeau furent la réponse :
-« Refuser de l’eau ? On n’est pas sauvages… dormez sous la halle et demain matin, qu’on ne vous voie plus…. Et… mais, dites-moi… pourquoi les cailloux ? »
-« Juste pour ma soupe, dit le voyageur ! »
Et il s’installa, sortit de son sac un vaste chaudron, le remplit d’eau claire, alluma un feu et dans la marmite, jeta les cailloux. Avec son bâton, remua le tout, goûta au brouet, se frotta les mains et prit son violon.
Entre deux chansons, il touillait sa soupe, humait la vapeur qui s’en dégageait, puis hochait la tête, rajoutait de l’eau et recommençait.
Derrière les fenêtres, on s’interrogeait… L’étranger cuisine… C’est qu’il a trouvé quelque chose à cuire…. De quoi s’agit-il ?
La mère Labouture, doyenne du village et la plus curieuse, sortit la première, s’approcha du feu :
-« Que cuisinez-vous dans votre marmite ? »-
-« Un plat de chez nous ! Le seul qui convienne en temps de disette ! »-
-« Et quoi donc que c’est ? »-
-« La soupe aux cailloux ! »-
-« La soupe aux cailloux. Comment vous faites ça ? »
-« Oh, mais c’est très simple… On prend sur la route quelques beaux cailloux ; on les fait bouillir dans de l’eau bien pure…Mais comme c’est dommage… j’en aurai bien trop, juste pour moi seul, je ne vais quand même pas jeter le reste ! »-
La vieille Labouture était affamée, ses deux yeux brillants fixaient la marmite. L’étranger sourit :
-« Si vous en voulez, prenez une écuelle.»
Il trempa une cuiller dans le chaudron, goûta…
-« Dommage…ça manque de sel… Mais, bon, j’en ai pas… »-
-« Puisque vous m’offrez de votre soupe, je peux bien vous donner du sel ; attendez-moi, je vous en rapporte. »-
Et la mère Labouture de trotter jusque chez elle, pour revenir avec une écuelle, le pot à sel et quelques grains de poivre…
Mais on l’avait vue !
Benoît Morvonnais, mauvais galopin, et le benjamin de toute une tribu d’affreux garnements très mal embouchés, toujours à l’affût de vilaines farces et de chapardages surveillait la place. En cette fin d’hiver son estomac creux gargouillait beaucoup et rendait ses yeux, son nez, ses oreilles particulièrement sensibles et fins.
Dans le grand chaudron l’étranger fait cuire il ne sait trop quoi ; la vieille Labouture, promène une écuelle….Benoît Morvonnais veut avoir sa part, traverse la place, s’approche, renifle…
-« Dites, les deux vieux, qu’est-ce que vous touillez? Elle sent rien vot’soupe…»-
-« Sois poli, morveux, et file d’ici, on n’a rien pour toi ! », grinça Labouture.
-« Mais bien sûr que si, sourit l’étranger, comme je vous ai dit, y’en a pour tout l’ monde ! Seulement c’est vrai, ça sent pas grand chose… Faudrait un oignon ! »-
-« Un oignon, j’ai ça ! Si j’en rapporte un, j’ aurai de la soupe ? »-
-« Oui, bien entendu ! »-
Le gamin fila et revint bien vite avec un oignon, du thym, du laurier, des clous de girofle. Sa mère ne les chercherait pas avant longtemps vu qu’elle n’aurait pas de sitôt de quoi faire un pot au feu !
L’étranger les jette le tout dans la marmite avec les cailloux et Benoît, avide, muni d’un grand bol, s’approche du feu :
-« Un peu de patience, il faut que ça cuise ! Danse en attendant »- Il prend son violon et joue quelques valses.
Le père Dugreffon, du temps qu’ils étaient jeunes et fringants avait fréquenté la fille Labouture . Pour une histoire bête, ils avaient rompu. On avait parlé de ci et de ça, d’autre chose encore, mais au fond personne n’avait jamais su l’objet du conflit et les vieux eux-mêmes depuis tout ce temps l’avaient oublié. Mais toujours est-il qu’ils ne s’adressaient plus une parole… Pourtant ils guettaient et n’ignoraient rien des faits et des gestes que chacun faisait.
Que de souvenirs dans ces airs de valses ! Dugreffon poussa la petite porte de son jardin et mine de rien, d’un air affairé traversa la place. Il prit l’air surpris, approcha de la marmite
Justement, l’étranger goûtait en disant à voix haute :
-« Ca ira ! Mais, tout de même… si j’avais une ou deux carottes et un vert de poireau… »-
-« D’la légume ? J’en ai pt’êt’ ben cor’ un peu ! »- marmonna le vieux qui fit demi-tour et revint bientôt avec un panier plein de beaux légumes, que l’étranger ajouta à sa soupe. Le jeune Morvonnais s’était emparé de la grande cuiller et touillait la soupe au caillou de tout son cœur, voisin de son estomac affamé. Les pieds de la mère Labouture battaient la mesure et les moustaches de Dugreffon tremblaient en cadence.
-« Que se passe-t-il, mes amis ? »-
Mademoiselle Herminie de Bézendouce, la nièce du curé tentait de faire oublier dans l’amidonnage impeccable des surplis de son oncle et dans la confection de bouquets pour l’autel, les égarements d’une jeunesse follette. Attirée par la musique et aussi par le fumet naissant de la soupe aux cailloux, elle venait aux renseignements.
-« C’est l’étranger, mam’zelle… Il fait la soupe pour tout le monde ! »-, l’informa Benoît.
-« De la soupe ! Mais avec quoi mon dieu ! Nous n’avons plus rien ! »-
-« Mais je n’ai besoin de rien, sourit le grand musicien. Il y a déjà plus qu’il ne faut ! Quoique… »-
-« Quoi donc ? »
-« Une petite couenne de lard pour donner du goût… Mais ce n’est pas indispensable… »-
-« Attendez ! »-
Mademoiselle Herminie trotta jusqu’au presbytère et revint avec un gros morceau de lard qui avait résisté à l’hiver.
-« De toutes façons, dit-elle en le jetant dans la marmite, demain c’est Carême et d’ici Pâques, il pourrait s’abîmer à moins que les souris ne s’en occupent ! »-
Cette fois la soupe au caillou commençait à sentir fameusement bon et le bruit courait dans le village famélique que le grand étranger là-bas qui jouait du violon, avait une recette de soupe qui allait nourrir tout le monde et que du coup, un tel et un tel, qui avait donné ci, qui avait donné ça…..
-« Et si on a rien à donner, tu crois qu’on en aura quand même ?»-
Alors chacun cherchait au fond des coffres et des placards ; le moindre petit reste fut apporté pour ajouter à la marmite. Une ou deux vieilles poules qui avaient eu le tort d’oublier de pondre, allèrent rejoindre le bouillon ; le meunier apporta de la farine ; les fermières, des œufs, du beurre, de la crème. Ceux qui n’avaient rien prêtèrent de la vaisselle et des ustensiles.
Des beignets se mirent à frire pour accompagner la soupe et monsieur le curé envoya chercher dans sa cave quelques bouteilles qui ne servaient pas à la messe.
On dressa des tables, on y mit des nappes ; chacun apporta son bol et son couteau. Il y eut du bouillon, du lard, des saucisses, de la poule, du bœuf, de l’omelette au lard, du pain croustillant, du biscuit, des tartes, des oeufs à la neige et même de café. Les hommes pour finir firent goûter la gnôle et tous les enfants eurent des canards.
Le violon chanta, les sabots dansèrent. Le jour se levait quand le ventre plein, les mollets fourbus et le cœur heureux, on alla coucher. Et le lendemain, chaque ménagère nota dans son livre comment on prépare, quand l’hiver est long, la soupe au caillou.
Et me direz-vous, où donc est allé le grand voyageur ?.... Cherchez Herminie !
Pomme Papion
Le samedi, cela vous dit un joli conte ?!
samedi 29 mars 2008
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